Introduction
Ce module « Enseigner le français aux migrants » allie aspects théoriques et pratiques et invite les lecteurs à réfléchir aux manières d’enseigner le français aux publics migrants et immigrés. Dans la première unité, nous aborderons les spécificités des publics adultes migrants et immigrés et la didactique qui en découle. Dans les parties 2 et 3, nous partagerons des notions théoriques et des pistes méthodologiques dans le but de construire des séquences adaptées aux compétences travaillées et aux besoins du public. Pour finir, il sera question de réfléchir à sa posture en tant que formateur en formation linguistique pour adulte.
Ce module vise à outiller les étudiants de français langue étrangère, alphabétisation, illettrisme en France ou en contexte francophone, en proposant des exemples concrets pour accueillir, positionner, travailler l’oral et travailler l’écrit.
Adèle Rossignol – Elsa Aïch
Université Aix-Marseille
A l’issue de ce module, les participants seront capables de :
- comprendre les spécificités du public adulte migrant
- identifier les profils langagiers des personnes en formation et les besoins linguistiques qui en découlent
- comprendre l’intérêt d’élaborer des séances consacrées au travail de la compétence écrite ou orale à part entière
- reconnaître les méthodologies sous-jacentes aux contenus de manuels pour l’alphabétisation
- réfléchir à leur posture en tant que formateur
Ce module est destiné aux étudiants, futurs enseignants de français langue étrangère, alphabétisation, illettrisme en France ou en contexte francophone.
En outre, il peut revêtir une importance particulière pour d’autres acteurs de l’éducation, notamment les bénévoles qui font de l’accompagnement linguistique auprès des personnes étrangères, et les enseignants en langues de manière plus générale.
The module consists of three units:
- Unit 1 Cette unité présente les spécificités du public migrant en France dont doit avoir conscience tout futur formateur ou accompagnateur. Elle propose des outils pour les accueillir et apporter des contenus de formation adaptés à leurs besoins langagiers.
- Unit 2 Cette unité se concentre sur le travail de la compétence orale en formation linguistique. Elle propose des outils et pistes méthodologiques très concrets pour l’enseignant.
- Unit 3. Cette unité s’attarde sur le travail des compétences écrites et notamment les démarches et outils pour l’alphabétisation, vaste univers dans lequel il est difficile de se perdre en tant que formateur.
8 hours
Le matériel principal du module est basé sur une variété de ressources:
- Des études, des rapports et des articles académiques publiés par des auteurs éminents et des organisations nationales et internationales travaillant sur la didactique des langues
- Des vidéos et sources audio disponibles sur Internet
- Des documents fournis par des associations locales et collectifs français et belges par le biais de leurs pages web officielles.
- Des manuels et supports d’apprentissage du français existants dans le commerce
Unit 1 Spécificités de l’enseignement du français à des adultes migrants
La didactique du Français Langue Étrangère (FLE) et l’enseignement du français aux adultes migrants sont de « faux jumeaux didactiques » (Adami, 2005). En effet, si les interventions doivent s’appuyer comme pour le FLE, sur les connaissances développées en didactique des langues et en sciences du langage, le domaine de l’enseignement aux adultes migrants amène l’intervenant à enseigner, qu’il le souhaite ou non, au milieu d’un champ « où se croisent des problématiques sociales, politiques, didactiques, ou épistémologiques » (Adami, 2020), et c’est en cela qu’il se distingue.
Le public en apprentissage recouvre en effet des particularités essentielles à prendre en compte :
– il s’agit d’un public en situation d’immersion, en contexte homoglotte.
– il s’agit d’un public pouvant souffrir de problématiques périphériques, liées à la situation de migration et/ou d’exil, et pouvant vivre, pour une partie, dans des conditions socio-économiques assez précaires, voire instables.
– il s’agit d’un public dont les motivations et objectifs peuvent être intrinsèquement liés aux politiques linguistiques d’immigration en cours.
– il s’agit d’un public assez hétérogène, qui recouvre des besoins langagiers et des attentes différentes.
Cela nécessite, inévitablement, d’adapter la didactique aux contraintes et aux freins à l’apprentissage, et de définir des objectifs pédagogiques au plus près des besoins spécifiques des apprenants. Nous verrons plus loin comment.
Pourtant, si les adultes migrants peuvent apparaître de ce point de vue, comme un groupe d’apprenants homogène et aux caractéristiques plutôt semblables, une grande hétérogénéité existe, tant en termes de profils langagiers, que de besoins linguistiques, ou que d’origines socio-économiques.
1.1 Caractéristiques du public
Ce qui pourrait caractériser le mieux la formation linguistique pour les adultes migrants, c’est souvent l’extrême hétérogénéité que l’on peut retrouver parmi les apprenants au sein des groupes. En effet, dans de nombreux dispositifs de formation, les personnes sont souvent réunies, au mieux selon leur niveau de langue en français à l’oral, au pire selon des critères purement administratifs rassemblant ainsi des apprenants aux profils langagiers très différents. Rares sont les positionnements linguistiques prenant en compte le niveau de scolarisation antérieur des individus ; or c’est là une particularité essentielle à connaître si l’on souhaite adapter la didactique aux profils des apprenants. Mais d’autres composantes à prendre en considération viennent s’ajouter telles que l’origine sociale, le parcours sociolangagier ou le temps de présence en France.
– Le niveau de scolarisation
Il n’est pas rare aujourd’hui au sein des dispositifs de formation pour les adultes migrants que des personnes qui n’ont jamais été scolarisées dans leur pays, côtoient des personnes qui ont fait des études supérieures. Cette hétérogénéité peut poser de vrais problèmes lorsque l’on connaît les différences de stratégies d’apprentissage entre les deux profils de personnes. Les apprenants alphabétisés peuvent, en effet, transférer facilement les compétences acquises en langue première à l’écrit, là où les personnes en situation d’analphabétisme se retrouvent rapidement démunies (nous verrons dans un autre chapitre les spécificités des personnes dites « alpha »).
Cela influe forcément sur la qualité de l’offre pédagogique proposée et le rythme d’apprentissage au sein d’un même groupe.
– L’origine sociale
Il est souvent question d’interculturel en didactique des langues, et cette composante est largement documentée dans les manuels de FLE qui prennent volontiers en compte les différentes nationalités et origines qui peuvent être en présence dans un groupe. Toutefois, les différentes origines sociales des apprenants sont sous-représentées, voire totalement absentes. Ainsi, les contenus pédagogiques proposés correspondent généralement à un profil type d’apprenant FLE, dont les habitudes culturelles peuvent être éloignées de la réalité des adultes migrants selon leur origine sociale. Les activités pédagogiques des manuels de FLE abordent ainsi fréquemment, des loisirs tels que le cinéma, ou la musique, et certaines tâches visent des réalisations telles qu’une réservation d’une nuit d’hôtel ou l’écriture d’une carte postale. Or, on sait que ces habitudes ne sont pas partagées par l’ensemble des personnes, selon leur culture et surtout leur origine sociale. C’est donc pour l’enseignant, une composante nécessaire à prendre en considération afin d’adapter ses activités aux profils différents des apprenants.
– Le parcours sociolangagier antérieur
Il est fréquent de réduire le répertoire langagier de l’apprenant à sa seule origine, ne prenant pas en compte l’étendue des langues réellement parlées par celui-ci. Or les connaissances qu’ils possèdent dans chacune d’entre elles représentent autant de « ponts » sur lesquels l’intervenant peut s’appuyer pour faciliter l’apprentissage et la compréhension. Bien souvent, l’adulte migrant est originaire d’un pays dans lequel une langue officielle cohabite avec une multitude de langues minoritaires, comme cela peut être le cas dans certains pays d’Afrique par exemple. De plus, de nombreux apprenants ont dû traverser plusieurs pays avant d’arriver en France, voire pour certains, y vivre quelques mois ou années, et ces passages enrichissent d’autant plus le répertoire langagier de ceux-ci. Il serait dommage de ne pas s’appuyer sur ces nouvelles compétences acquises ni sur les connaissances métalinguistiques développées sur celles-ci.
– Le temps de présence en France et le projet migratoire
Les dispositifs de formation pour adultes sont souvent très hétérogènes aussi du point de vue du temps de présence en France des apprenants, qui peut être très différent d’une personne à l’autre. Ainsi, il n’est pas rare de retrouver dans une même classe des personnes installées depuis plusieurs années en France comme d’autres qui viennent juste d’arriver. Or les adultes migrants installés depuis longtemps dans le pays d’accueil ont pu développer des compétences linguistiques, hors classe, par acquisition en contexte social. Si cela peut être un avantage, cela peut être surtout, parfois, un obstacle lorsqu’il est question de « fossilisation » des acquis. Au fil des années, les personnes ont appris des structures linguistiques erronées mais qui fonctionnent suffisamment pour se faire comprendre dans la vie de tous les jours. Les formulations sont alors cristallisées et il devient difficile pour les apprenants de les corriger.
Le projet migratoire est par ailleurs une composante importante à prendre en compte, car il diffère souvent selon l’apprenant. En effet, certains adultes migrants n’ont pas explicitement fait le choix de s’installer durablement dans le pays d’accueil et la France n’est alors qu’une étape dans leur projet de rejoindre un autre pays. Cela peut influer sur leur motivation à apprendre la langue cible, et sur la façon volontariste d’appréhender la formation.
1.2 Les différents profils langagiers
Si toutes ces particularités font souvent des dispositifs de formation pour les adultes migrants des groupes très hétérogènes, la principale caractéristique qui différencie les apprenants entre eux reste tout de même celle de leur profil langagier. C’est en tout cas celle-ci qui demandera d’adapter le plus la didactique à l’œuvre.
On peut identifier ainsi plusieurs profils langagiers :
– FRANÇAIS LANGUE ÉTRANGÈRE (FLE)
Il s’agit de personnes qui ont été scolarisées dans leur langue maternelle et qui apprennent le français en tant que langue étrangère. Elles sont souvent assez autonomes et utilisent les processus déjà mis en place dans la langue de scolarisation pour l’apprentissage de la langue cible. On peut distinguer différentes approches :
– le FLS – (Français Langue Seconde) : démarche qui s’adresse à des personnes qui n’ont pas le français pour langue maternelle, mais qui sont néanmoins en contact proche avec la langue française (comme dans les pays du Maghreb par exemple).
– le FOS – (Français sur Objectifs Spécifiques) : approche pédagogique dont l’objectif est l’acquisition de compétences langagières dans des situations de communication professionnelles ou de formation (vocabulaire adapté au milieu professionnel).
– le FLI – (Français Langue d’Intégration) : vise de façon conjointe un usage quotidien de la langue et l’apprentissage des outils d’une bonne insertion dans la société française (y compris par l’adhésion aux usages et aux valeurs de la République française). Ils privilégient la forme orale et la lecture, sans ignorer l’écriture – cf. Synthèse du Référentiel FLI, (https://parlera.fr/wp/wp-content/uploads/2012/09/FLI-Le-R%C3%A9f%C3%A9rentiel.pdf)
– ALPHABÉTISATION
Il s’agit de personnes qui n’ont pas, ou peu été scolarisées (moins de deux ans), ni en France ni dans un autre pays. On préfère parler de personnes en « situation » d’analphabétisme. Il s’agit en effet d’une photographie prise à un instant T de la situation de l’apprenant, mais qui peut être amenée à changer au fur et à mesure du processus d’apprentissage. Ainsi, une personne pourra ne pas être en situation d’analphabétisme toute sa vie. L’alphabétisation est une première expérience d’apprentissage de l’écrit, dans un contexte formel.
– POST ALPHABÉTISATION
La « Post-alphabétisation » est un terme qui désigne les personnes en situation d’analphabétisme qui ont déjà commencé ou suivi un parcours de formation (ateliers sociolinguistiques, organisme de formation…) et qui ont acquis les rudiments de la langue écrite sans pour autant être encore autonomes.
Dans un cas comme dans un autre, la personne ne maîtrise pas le français écrit, mais peut tout à fait être performante à l’oral. Les acquisitions peuvent être assez lentes en raison de l’absence de réflexes d’apprentissage et de stratégies cognitives ou de la fossilisation linguistique si la personne réside en France depuis longtemps. Les personnes sont souvent peu autonomes dans l’apprentissage, mais sont souvent très demandeuses d’apprendre et de suivre des formations (besoin de réparation).
– ILLETTRISME
On parle de situation d’illettrisme pour les personnes francophones, scolarisés en France, mais ne maîtrisant pas suffisamment les savoirs de base nécessaires pour une autonomie à l’écrit.
De manière générale, les progrès sont souvent lents, par paliers d’apprentissage, avec un grand besoin de sécurisation et une autonomie limitée.
En résumé, dans un même groupe, il est possible de rencontrer :
1) Des apprenants ayant été scolarisés dans leur pays et pouvant :
– savoir lire et écrire dans leur langue,
– connaître une ou plusieurs langues étrangères,
– savoir ou non parler le français,
– avoir fait des études supérieures.
2) Des apprenants n’ayant pas ou peu été scolarisés dans leur pays et pouvant :
– ne pas savoir lire et écrire dans leur langue
– MAIS parler le français (à différents niveaux) et d’autres langues étrangères
3) Des apprenants n’ayant jamais été scolarisés, parlant une ou plusieurs langues et n’ayant aucune connaissance du français
=> tous ces apprenants ont des besoins différents à l’écrit : on ne leur enseigne pas le français de la même façon.
1.3 Identifier le profil langagier
Chaque profil langagier demande donc une adaptation de la didactique. En effet, une personne relevant du FLE, de niveau A1 par exemple, et ayant des besoins à l’oral et à l’écrit en français n’aura pas le même profil d’apprentissage qu’une personne parfaitement francophone, mais par ailleurs en situation d’analphabétisme. Il convient donc de constituer le plus souvent possible, des groupes de niveaux et d’objectifs d’apprentissage homogènes. Mais alors, comment être sûr de bien identifier ces différents profils ? Quels moyens mettre en œuvre ?
C’est souvent à l’occasion du premier entretien d’accueil, au moment des inscriptions, par l’intermédiaire de diverses questions et d’un positionnement linguistique à l’écrit que nous pouvons obtenir les éléments nous permettant de mettre en lumière le niveau de scolarisation antérieur des apprenants, qui permettra de déceler une situation d’analphabétisme, par exemple.
En définitive, s’il y avait une question et une seule à se poser lors des entretiens, elle pourrait être celle-ci : la personne a-t-elle déjà été scolarisée ?
« https://parlera.fr/wp/wp-content/uploads/2023/04/FR-Parlera_23_Profilslinguistiques.pdf»
Une enquête plus poussée à travers une série de questions telles que « Depuis combien de temps vivez-vous en France ? », « Avez-vous été scolarisé dans votre pays d’origine ? », si oui, « pendant combien de temps ? » ou « jusqu’à quel âge ? » et « dans quelle langue ? » permettront de rendre compte du degré de scolarisation de la personne et de définir le palier d’alphabétisation dans lequel elle se situe.
Si le formulaire d’inscription est sous format papier, nous conseillons également de laisser la personne compléter la partie « identité » (nom, prénom, adresse, téléphone, nationalité, année d’arrivée en France). Une écriture en majuscules, une écriture non linéaire, le fait de recopier son nom et prénom à partir d’une carte d’identité sont autant d’indices qui permettront au formateur de positionner la personne en situation d’analphabétisme. À l’inverse, si la personne complète sans aucune difficulté (si ce n’est, parfois, assisté d’un traducteur), ce sera signe qu’il y a eu scolarisation ou formation antérieure (donc profils FLE, illettrisme ou post-alpha). Les questions concernant la scolarisation et le parcours antérieurs sont là pour affiner le positionnement.

Il est possible de compléter ce questionnaire avec un positionnement linguistique pour affiner le niveau de l’apprenant dans son profil langagier.
Voici un exemple de positionnement initial à l’écrit proposé aux participants débutants à l’écrit de l’association À VOIX HAUTE, qui dispense des ateliers sociolinguistiques auprès d’adultes migrants à Marseille lors de l’inscription :

1.4 Recueil des besoins linguistiques et numériques
Une fois le profil langagier identifié, et idéalement, les groupes d’objectifs et de niveaux homogènes constitués, il est important ensuite de se pencher sur les besoins linguistiques des personnes. En effet, les adultes migrants du fait du contexte particulier d’apprentissage ont souvent des besoins concrets qui visent un usage immédiat de la langue dans la vie de tous les jours. Les adultes, parce que ce sont des adultes justement, ont également davantage besoin de mettre du sens sur les apprentissages, et de comprendre pourquoi ils étudient telle ou telle chose.
Apprendre le français, mais pour faire quoi ? Pour communiquer avec qui ?
Il suffit bien souvent de leur poser la question et de les écouter. Certains voudront spécifiquement apprendre le français pour s’insérer professionnellement dans la vie active, d’autres pour communiquer avec les médecins, chercher ou évoquer un problème de logement, enfin, certains parents souhaitent apprendre le français pour mieux communiquer avec l’école de leur enfant et suivre ainsi leur scolarité.
On peut distinguer 4 grands besoins linguistiques :

Il convient donc de sonder directement les apprenants sur leurs besoins et de partir de leurs demandes pour construire les apprentissages. Cela peut se faire en collectif, lors d’une première séance, à l’aide d’images représentant chacune une situation de communication particulière dans un contexte de la vie courante : les administrations, l’hôpital, la banque, etc.
À partir des images, chaque apprenant est invité à s’exprimer sur ses besoins linguistiques et à expliciter les situations de communication qu’il estime encore difficiles pour lui, l’objectif étant de favoriser, in fine, l’autonomie des personnes dans leur vie et leurs démarches en France. Un vote sera proposé afin d’aboutir au choix d’une thématique. Le système de vote proposé peut être le vote en bâtons, chaque apprenant dispose de 5 bâtons virtuels à distribuer. Chacun peut choisir 2 thématiques parmi celles proposées et il doit prioriser : il attribue 3 bâtons à la thématique qu’il souhaite travailler en priorité et 2 bâtons à celui qui est important, mais un peu moins prioritaire. Il peut aussi choisir d’attribuer les 5 bâtons à la même thématique.

Identifier les besoins linguistiques des apprenants dans différentes situations de communication est donc essentiel. Mais à l’heure du tout numérique, développer l’autonomie des apprenants dans l’usage des appareils connectés devient une composante tout aussi importante : apprendre le français pour utiliser le téléphone/la tablette/l’ordinateur.
C’est une demande récurrente des personnes en situation d’analphabétisme qui souhaitent gagner en autonomie et pouvoir utiliser leur téléphone pour effectuer les démarches de leur vie quotidienne et/ou parentale.
Les démarches dématérialisées ont en effet ajouté une couche de difficulté pour les apprenants pas ou peu scolarisés et ces derniers doivent régulièrement faire appel à de tierces personnes, ou des écrivains publics pour effectuer leurs demandes en ligne ou simplement suivre la scolarité de leurs enfants via des applications comme Pronote, par exemple.
En ce sens, envisager une thématique « numérique » au sein des dispositifs de formations pour les adultes migrants peut s’avérer être très pertinent afin de lutter contre l’exclusion dont ils souffrent.
Exemple de positionnement initial sur les compétences numériques (source, https://www.lesbonsclics.fr/fr/ressources-pedagogiques/diagnostic-imprimable-trame) :

Unité 2 : Travailler spécifiquement l’oral comme une compétence à part entière
Socialisés et scolarisés dans un contexte où l’écrit est omniprésent, nous avons acquis des habitudes d’apprentissage qui font en général la part belle aux écrits, tant en réception (lecture) qu’en production (écriture). En effet, lors de notre parcours scolaire, nous sommes entrés dans les langues par l’écrit.
Au moment de concevoir des activités d’enseignement, ces habitudes constituent un socle que nous mobilisons, que nous en soyons conscients ou non. Pourtant, interroger les places respectives de l’oral et de l’écrit dans les formations pour adultes est important, car elles auront des conséquences sur les manières de transmettre la langue.
Nous commencerons par exposer pour quelles raisons il est important de distinguer le travail de l’oral de celui de l’écrit, quels écueils cela permet d’éviter. Nous partagerons ensuite quelques principes, déroulés de séances et outils d’un enseignement de l’oral sans recours à l’écrit.
2.1 Pourquoi travailler les compétences orales sans recourir à l’écrit ?
Comme nous venons de le dire, en France, le recours à l’écrit est omniprésent. Qu’il s’agisse de faire un achat, chercher son chemin, trouver une information, demander une allocation, louer un logement, ouvrir une ligne de téléphone fixe ou portable, s’inscrire à une activité, etc., nous sommes toutes et tous confrontés au quotidien à différents écrits, du plus bref au plus long, à lire comme à produire. Pour l’enseignant acculturé à l’écrit depuis son plus jeune âge, longuement scolarisé, et qui circule sans trop de difficulté parmi ces multiples écrits quotidiens, il peut alors sembler naturel de considérer que l’écrit est absolument nécessaire, voire prime dans tout processus d’apprentissage formel.
Interroger cette évidence est une nécessité dans la mesure où cela touche au regard porté sur les apprenants peu outillés à l’écrit, et aux conséquences générées par ce regard sur la réponse pédagogique proposée. Du fait de l’importance prépondérante de l’écrit dans la société française, on a en effet tendance à considérer les apprenants adultes peu outillés à l’écrit comme des personnes dont les compétences sont réduites dans tous les domaines. En les regardant uniquement sous l’angle du manque, au prisme de ce qu’ils ne savent pas faire, on évince tout autre acquis, qu’il s’agisse des compétences à l’oral ou des habitudes d’apprentissage – y compris non scolaires. Au lieu de prendre le temps d’évaluer finement leur profil et leurs compétences, on considère que leur parcours de scolarisation court, voire absent, est la source de compétences réduites à tous les niveaux.
Ce regard va entraîner différentes difficultés. Une première intervient au moment de la constitution de groupes de formation. En prenant les compétences écrites des adultes en demande de formation comme critère principal de regroupement, on aboutit à une répartition des apprenants selon la logique suivante. Les apprenants lettrés et qui ont en outre acquis un niveau minimal de compétences en français (par exemple, A1) sont placés dans un même groupe, souvent nommé « FLE » ou « avancé ». Tous les autres sont placés dans un autre groupe, nommé « débutant » voire « alpha », et qui réunit ainsi des apprenants lettrés grands débutants à l’oral d’une part, des apprenants peu outillés à l’écrit quelles que soient leurs compétences à l’oral d’autre part.
Dans cette configuration, le groupe dit « avancé » présente un profil FLE assez classique, qui ne déroutera sans doute pas l’enseignant. Le groupe dit « débutant », par contre, réunit une grande hétérogénéité de profils langagiers, et pose ainsi beaucoup plus de difficultés, tant au formateur qu’aux apprenants qui le composent.
En prenant les compétences à l’écrit des apprenants comme critère principal de constitution des groupes, on se condamne à effectuer des regroupements engendrant une réponse pédagogique inadaptée à une (grande) partie des apprenant.es, susceptible de générer de la frustration, de l’absentéisme voire des abandons. Autrement dit, entrer dans la langue par le critère de « maitrise » de l’écrit en revient donc à exclure une partie du groupe, celui qui n’a pas eu la chance d’aller à l’école dans son pays, et qui n’a donc pas eu accès à une langue écrite.
Pour répondre au mieux aux besoins des personnes en demande de formation, il apparaît donc crucial de constituer des groupes en prenant en compte plus finement les profils langagiers des apprenants, en distinguant notamment les besoins à l’oral des besoins à l’écrit.
Dans les structures de formation où cela est possible, nous suggérons ainsi d’ouvrir à l’inscription un ou des groupes dont l’objectif explicite est le travail des compétences orales, et un ou des groupes dont l’objectif explicite est le travail des compétences écrites. Le dénominateur commun aux participant.es est alors centré non plus sur un statut de « débutant », mais sur un besoin et un objectif communs. La réunion de profils langagiers distincts pose dans ce cas moins de difficulté : en vérifiant en amont (lors de l’entretien d’accueil) que tous les participants partagent, par exemple, le besoin et l’objectif de progresser à l’oral, et en actant le principe selon lequel le cours ne s’appuiera pas sur des compétences à l’écrit, on peut ainsi réunir des apprenants alphabétisés, des apprenants relevant classiquement du FLE, et des apprenants peu outillés à l’écrit.
Si les effectifs de la structure le permettent, on pourra évidemment subdiviser les apprenants pour constituer plusieurs groupes de travail de l’oral, en tenant alors compte plus finement du niveau de compétence orale des apprenants, voire des grands domaines sociaux dans lesquels ils visent à progresser.
Dans le cas où l’organisation de la structure ou du dispositif ne permet pas de constituer des groupes selon ce principe, c’est au niveau de la subdivision de la classe en sous-groupes qu’il faudra essayer de l’appliquer. Ce qui compte, en tous les cas, c’est d’éviter à tout prix d’homogénéiser par le bas et de nier les acquis des participants à la formation. En y veillant, l’enseignant pourra ainsi mieux cerner et prendre en compte les besoins explicites, être plus précis dans les réponses pédagogiques mises en place, mais aussi s’appuyer sur ces acquis pour mieux accompagner la progression des apprenants.
L’application de ce principe incite à réduire le plus possible le recours à l’écrit lorsqu’il s’agit de développer les compétences orales. Si cela semble de toute façon nécessaire pour les apprenants les moins outillés à l’écrit, cette modalité de travail encourage tous les apprenants à se mettre pleinement en posture d’écoute, en focalisant leur attention sur le canal oral uniquement. En effet, bien que la présence d’un support écrit puisse sembler rassurante, notamment pour les apprenants ayant des habitudes scolaires, le recours à un questionnaire tend cependant à leur compliquer la tâche : en leur demandant de sélectionner la bonne réponse, de compléter par un mot ou un groupe de mots, de résumer un propos, on les oblige en effet à prêter attention non seulement à l’enregistrement diffusé, mais aussi aux activités à réaliser à l’écrit. On pourra cependant, afin de soutenir l’écoute et de vérifier la compréhension, recourir à des illustrations.
Il faut également noter qu’en réduisant la place du support écrit, l’exercice fait en classe se rapproche davantage des conditions d’une situation authentique, dans lesquelles l’oral est loin d’être systématiquement appuyé sur un écrit. Cette modalité de travail permet donc aux apprenants de s’entraîner dans des conditions plus proches de ce qu’ils peuvent vivre en dehors de la classe, et ainsi de réduire l’appréhension éventuellement générée par la situation authentique.
Pour les apprenants ayant un parcours scolaire, ce type d’activité, qui leur demande de faire confiance à leurs capacités de mémorisation, constituera peut-être une nouvelle manière de s’approprier une langue étrangère à l’oral, contradictoire avec leurs habitudes antérieures. L’enseignant devra alors veiller à ce que ces derniers se prêtent au jeu, sans chercher à prendre discrètement des notes lors de l’écoute, tout en les rassurant sur leurs capacités d’écoute et de compréhension. Inversement, les apprenants peu outillés à l’écrit sont en général très à l’aise avec le fait de travailler l’oral sans avoir recours à l’écrit. Beaucoup d’entre eux sont en effet plurilingues, et ont donc déjà des habitudes d’apprentissage, même non conscientisées, reposant sur cette modalité de travail.
Le principe de distinction oral / écrit proposé ici encourage l’enseignant à envisager l’oral dans toutes ses dimensions, et à redonner ainsi toute sa place au travail de la composante linguistique à l’oral. Là encore, les habitudes scolaires poussent à considérer que les activités de conceptualisation et de systématisation grammaticales, voire lexicales, s’exécutent de manière privilégiée à l’écrit. Cette modalité de travail n’est cependant pas adaptée aux apprenants peu outillés à l’écrit, qui se trouvent alors exclus de ces aspects du travail de la composante linguistique.
En outre, cantonner les activités grammaticales à des modalités écrites peut constituer un obstacle à la prise en compte des spécificités morphosyntaxiques de l’oral, par exemple la disparition du « ne » de négation, l’absence d’inversion sujet-verbe dans la modalité interrogative ou encore l’omission du pronom « il » dans les structures présentatives (« il y a » devant « y a »). Au contraire, effectuer ce travail à l’oral permet d’articuler, dès les phases de conceptualisation et de systématisation, la composante linguistique et la composante sociolinguistique de la compétence à communiquer langagièrement.
Enfin, s’entraîner au moins autant à l’oral qu’à l’écrit permet de faciliter la mobilisation des savoirs et savoir-faire en situation de communication orale, en réduisant ainsi l’écart qui peut exister entre la capacité d’un apprenant à réaliser sans erreur un exercice de grammaire à l’écrit, et la capacité de ce même apprenant à réutiliser les mêmes structures linguistiques en situation authentique.
Les éléments qui viennent d’être développés demandent bien entendu aux formateurs et formatrices de faire preuve de remise en question et d’inventivité. Les manuels et les recueils disponibles sur le marché éditorial reproduisent, pour la plupart, les habitudes scolaires associant efficacité des apprentissages et nécessité d’un support écrit : il est donc difficile de trouver des activités pédagogiques dans lesquelles les supports écrits ne sont pas centraux.
Afin d’aiguiller l’enseignant dans ce travail, nous proposons des exemples d’organisation de séances et de démarches pédagogiques.
Pour compléter et appuyer nos propos, nous vous invitons à écouter Victoria Juanis qui parle de la didactique de l’oral :
2.2. Comment travailler l’oral sans recourir à l’écrit ?
2.2.1 Organisation et contenu de la séquence
Le type de travail que nous allons détailler dans la suite de ce module vise à travailler explicitement, à l’oral uniquement, toutes les composantes de la compétence de communication. Pour construire une séquence, l’enseignant ou la formatrice doit donc commencer par choisir une situation qu’il ou elle juge pertinent de travailler avec le groupe suite à une évaluation des besoins. Il lui faut ensuite analyser cette situation pour identifier les actes de parole (composante pragmatique) que cette situation met en jeu, les ressources lexicales et grammaticales (composante linguistique) nécessaires à la réalisation de ces actes de parole, et les usages communicatifs (composante sociolinguistique) que cette situation met en lumière. Une partie de ces actes de parole, ressources linguistiques et usages sociolinguistiques peut cependant être commune à des situations travaillées précédemment : la nouvelle situation de communication permet alors de revoir et d’approfondir certains contenus, selon le principe d’une progression en spirale qui renforce les apprentissages et encourage le transfert des acquis d’une situation sociolangagière à une autre.
Afin de clarifier les enjeux tant pour l’enseignant que pour les apprenants, il est nécessaire d’identifier, pour chaque séance, l’objectif et la ou les composante(s) de la compétence de communication sur laquelle le travail se focalise.
Suivant le principe selon lequel les ressources linguistiques sont au service de la compréhension et de l’expression, on commencera par confronter les apprenants à un ou des enregistrements, travaillés en compréhension. Puis, on consacrera plusieurs séances à l’acquisition des ressources permettant, enfin, aux apprenants de produire ou d’interagir à leur tour. Il est en effet important que les activités invitant les apprenants à produire ou interagir plus longuement n’arrivent qu’en fin de séquence, une fois que l’enseignant leur a transmis les ressources nécessaires pour le faire : la ou les dernières séances constituent ainsi une mise en pratique de toutes les ressources vues lors des séances précédentes à travers une mise en situation visant à s’entraîner à produire ou interagir de façon réaliste.
Au sein d’une séquence autour d’une thématique, on distinguera les temps de travail suivant :
- compréhension orale, composante pragmatique
- travail lexical, composante linguistique
- travail phonétique, composante linguistique
- travail grammatical, composante linguistique
- travail sur les usages langagiers, composante sociolinguistique
- production ou interaction orale, composante pragmatique
Lors des séances consacrées au travail des ressources linguistiques, on n’hésitera pas à contextualiser, en rappelant le lien avec les séances de compréhension et de production/interaction : « j’apprends… pour dire / faire / être capable de… ».
2.2.2 Outils facilitateurs pour éviter le recours à l’écrit
Pour animer des séances d’oral sans recourir à l’écrit, deux éléments nous semblent particulièrement facilitateurs : l’illustration des contenus oraux par des images soigneusement choisies d’une part, la disposition de la salle de formation d’autre part.
Les illustrations (dessins, photos) vont remplacer les écrits. Ces images peuvent jouer trois rôles distincts : illustrer la situation globale de communication, clarifier la signification d’un mot ou d’un énoncé entendu dans l’enregistrement, ou encore déclencher et soutenir la prise de parole de tous. En l’absence d’écrit, elles seront le seul support visuel commun au groupe. Elles constitueront un support pérenne sur lequel prendre appui. Il faut donc apporter un soin particulier à leur choix, et réfléchir aux modalités de leur utilisation.
En effet, les images ne sont pas toujours aussi transparentes qu’on le croit : leur interprétation nécessite parfois de disposer d’un certain nombre de codes ou de références culturelles contribuant à en construire un sens partagé. La manière de se représenter mentalement un concept, une idée abstraite, est susceptible de varier d’une zone culturelle à une autre, voire d’un individu à un autre : certaines images dont l’interprétation nous paraît évidente peuvent ainsi être équivoques ou laisser perplexes d’autres personnes. L’expérience montre qu’une représentation graphique aussi courante que celle de la pluie dessinée sous forme de traits discontinus tombant du ciel en diagonale peut ainsi poser des problèmes interprétatifs aux personnes les moins acculturées à l’écrit. En outre, trouver la bonne image pour illustrer des notions abstraites, certaines idées ou des émotions n’est pas toujours chose aisée : comment illustrer sans ambiguïté le concept de « qualité » ou celui de « défaut », ou encore la notion d’« expérience professionnelle » ?
Enfin, l’usage des émoticônes (smileys) pour illustrer un sentiment, une émotion, une ambiance n’est pas toujours compris par l’ensemble du groupe, car ce type de représentation est très dépendant de l’acculturation au numérique des apprenant.es, qui varie notamment selon l’âge et les compétences à l’écrit des participants.
Un autre conseil quand on cherche des images pour illustrer du lexique consiste à rester au plus près du thème travaillé, à s’y ancrer en privilégiant les représentations concrètes plutôt que les généralisations abstraites. Par exemple, pour illustrer la notion de « changement de bus » lors d’un travail sur les déplacements en transports en commun, on privilégiera un montage photo montrant effectivement des bus, plutôt qu’une représentation abstraite de la notion de changement.
L’idéal est encore de prendre ses propres photographies, ou encore d’avoir des talents de dessinateur ou de pouvoir mettre à contribution une personne-ressource de son entourage, afin que les illustrations représentent le plus fidèlement possible la situation ou le mot visés.
Il existe sur internet des banques d’images et de photographies libres de droits dans lesquelles il est possible de piocher : par exemple Flickr (https://www.flickr.com/), Burst (https://burst.shopify.com/), Free images (https://www.freeimages.com/fr), Pixabay (https://pixabay.com/fr/) ou encore Fotomelia (https://fotomelia.com/). Certains sites nécessitent tout de même une inscription gratuite au préalable. Nous recommandons à chaque formateur de créer sa propre banque d’images au fur et à mesure des séances, afin de conserver les illustrations les plus appropriées et d’affiner leurs choix progressivement.
Au final qu’on se serve de photos ou de dessins, il faudra, en amont de l’activité de compréhension ou d’expression proposée, pour lever les potentielles difficultés interprétatives, prendre un temps en groupe pour décrire et expliquer simplement chaque image afin de s’accorder collectivement sur sa signification.
En plus de s’entendre sur le sens de la photo, il s’agit également d’un temps, où par le biais de la description d’images, l’enseignant apporte du lexique (de nouveaux mots) contenu dans le document audio afin d’en faciliter sa compréhension.
L’image doit donc être facilitatrice, et non constituer un obstacle supplémentaire. Pour chaque image présentée, l’enseignant ou la formatrice invitera donc les apprenants à observer puis à décrire oralement ce qu’ils voient, pour aboutir à la construction d’un sens collectif de l’image. Si les premières activités peuvent dérouter les apprenant.es, nous avons observé que plus le travail à partir d’illustrations est fréquent, plus les incompréhensions se raréfient. Petit à petit, les apprenants développent leurs capacités à émettre des hypothèses interprétatives, et acquièrent des codes graphiques communs.
Un deuxième élément jouera un rôle de facilitateur des séances consacrées au travail des compétences orales : il s’agit de la configuration de la salle de formation. L’idéal, en formation, est de disposer d’une salle dont le mobilier peut être facilement déplacé, afin d’adapter la disposition de la salle au type d’activité proposé. Mieux vaut parfois passer quelques minutes à déplacer tables et chaises avec tout le groupe plutôt que d’être mal installé pendant une demi-journée ; la reconfiguration du mobilier peut d’ailleurs constituer un moment de pratique communicative à part entière, puisqu’il s’agit alors de communiquer pour coopérer, en comprenant ou donnant des instructions de manière appropriée, en demandant confirmation, en faisant une suggestion, etc.
Pour les séances de travail oral, nous conseillons de retirer (ou d’empiler sur les côtés) toutes les tables de la salle, et de n’y laisser que des chaises, disposées en arc de cercle, ou en petits cercles pour privilégier les échanges en petits groupes lors de certaines activités. Cette disposition présente l’avantage de permettre à tous les apprenants de se voir, complique le recours à l’écrit, et facilite la circulation de la parole et des participants dans l’espace. Disposer d’un mur ou d’un tableau permettant l’affichage des images est également souhaitable : on veillera à ce que tous puissent voir cet espace d’affichage, qui devra donc être placé en face de l’arc de cercle.
Cette disposition spécifique au travail de l’oral permet en outre aux apprenants d’identifier les activités langagières travaillées, en facilitant le repérage dans les différents temps d’apprentissage proposés en formation : quand des tables sont présentes dans la salle, c’est qu’on travaille l’écrit, et quand les tables sont absentes, c’est un travail de l’oral qui est proposé. La différence de configuration spatiale pour l’oral ou pour l’écrit permettra enfin de modifier la dynamique de groupe, en incitant les apprenants à ne pas toujours s’asseoir à la même place et/ou à côté des mêmes participant.es.
La présence de petites tables peut s’avérer nécessaire si on ne souhaite pas disposer et manipuler les images au sol ou quand des temps de dessins sont proposés en appui à la compréhension orale. Mais on évitera dans la mesure du possible le placement autour de grandes tables.
2.3 Travailler la compréhension orale
Tout locuteur-expert, quand il s’attache à comprendre une annonce, une interaction à laquelle il participe ou non, une émission ou tout autre document audio ou audiovisuel, est activement engagé dans son écoute. Qu’il en soit conscient ou non, il émet des hypothèses et prélève des indices pour les confirmer, les infirmer ou les préciser. Pour rendre les apprenants efficaces dans leur écoute, et les accompagner vers l’autonomie dans les situations qu’ils affrontent, nous devons donc encourager leur activité d’émission d’hypothèses et accompagner le prélèvement d’indices : on parle ainsi de démarche d’écoute active.
Pour cela, il est nécessaire de définir, en amont de la diffusion d’un enregistrement, un projet et des objectifs d’écoute précis, qui vont inciter les apprenants à développer des stratégies, les habituer à écouter avec une intention particulière, et les aider à ne pas décrocher : si la consigne donnée se résume à une formule vague telle que « écoutez et dites ce que vous avez compris », l’attention des apprenants sera interrompue dès l’apparition de la première difficulté de compréhension.
Il faut en outre, dès que possible, inviter les apprenants à justifier les réponses qu’ils proposent, pour encourager l’émission d’hypothèses et la formulation d’inférences grâce au contexte, aiguiller le prélèvement d’indices, et éventuellement lever les implicites culturels qui pourraient entraver la compréhension. Ce travail autour de la formulation d’hypothèses plausibles sera plus facile pour une personne scolarisée antérieurement, mais il s’avère une compétence essentielle à développer pour une personne non alphabétisée.
Enfin, il est important d’amener les apprenants à verbaliser d’abord ce qu’ils comprennent (ou pensent comprendre), plutôt que ce qu’ils ne comprennent pas : pour émettre des hypothèses, on s’appuie en effet sur ce qu’on comprend afin d’essayer de combler les lacunes. Il s’agit donc, pour l’enseignant, de ne pas céder à la tentation de tout expliquer ou de tout traduire, et pour encourager plutôt la quête collective du sens et de les rassurer sur le fait qu’ils ne comprennent pas tout, que l’accès au sens détaillé se fera au fur et à mesure des apprentissages.
Concrètement, le travail s’organise en plusieurs phases.
La première phase consiste en une compréhension globale du document. Elle est guidée par des questions, posées avant la première diffusion de l’enregistrement, qui conduisent les apprenants à chercher des informations permettant d’accéder au sens global du document : qui parle, à qui, où, quand, de quoi, pourquoi ? Les questions, ainsi qu’éventuellement les réponses possibles, peuvent être illustrées par des images afin de soutenir leur compréhension et leur mémorisation ; avant de diffuser l’enregistrement, on s’assure alors que la signification de chaque image est bien comprise par tous, en faisant verbaliser ce qui y est représenté. On peut alors adapter le nombre de réponses proposées au niveau des apprenants qui composent le groupe.

En fonction du nombre d’apprenants et de leur niveau, on peut diviser la classe en sous-groupes, et distribuer une
question par sous-groupe : pendant l’écoute, les apprenants se focaliseront alors sur une seule question. Enfin, la question « pourquoi ils interagissent ? » peut être attribuée à un sous-groupe plus avancé si le groupe est de niveau hétérogène.
On diffuse alors le document en entier, sans marquer de pause, en laissant les apprenants chercher les indices leur permettant de répondre aux questions posées avant la diffusion. Au besoin, il peut y avoir plusieurs écoutes ; en fonction du niveau de compréhension des participant.es, on peut procéder à une mise en commun dès après la première écoute, et compléter si besoin après une seconde écoute, ou bien diffuser le document deux fois avant de mettre en commun. Pour animer le travail lors de la mise en commun, il ne faut pas hésiter, après qu’un sous-groupe a donné sa réponse, à demander si les autres sous-groupes veulent compléter, ou s’ils valident la réponse telle quelle. Enfin, si des questions demeurent sans réponse, il est important de faire une deuxième ou une troisième écoute : pour que la compréhension globale soit effective, le groupe doit avoir trouvé et compris les réponses de toutes les questions.
Cette phase de compréhension globale constitue une étape de travail nécessaire à tous les niveaux, mais on ne saurait trop insister sur son importance pour les débutants. Elle permet en effet d’entrer dans le document sonore de manière guidée. Les illustrations qui accompagnent les questions fournissent des outils facilitant la prise de parole, et soutiennent l’identification de la situation de communication.
La troisième phase vise à accéder à une compréhension plus fine du document : on parle de compréhension détaillée. Là encore, on ne se contente pas d’une question large, mais on utilise des activités préparées en amont ; on conseille cependant de faire varier les modalités d’animation en fonction du niveau du groupe.
Pour les débutants complets, on utilisera des images illustrant les moments-clés du document – par exemple, les étapes de l’interaction – que l’on présentera dans le désordre. Comme lors de la phase de compréhension globale, on prendra le temps de décrire et d’identifier la signification de chaque image : en plus de lever les éventuelles ambiguïtés, cela permet également de fournir des ressources lexicales soutenant la compréhension du document. Afin de faciliter la participation active de tous, on prévoira plusieurs jeux d’illustrations si les apprenants sont nombreux. Lors de la mise en commun, on fera réécouter le document étape par étape, en vérifiant à chaque fois que tout le monde est d’accord sur le choix de l’image ; pour cela, on reformulera et on synthétisera ce qui est dit par les apprenants, en soulignant ce qu’ils ont compris, les mots qu’ils ont reconnus. Avant de valider une réponse, on demandera aux apprenants de justifier leur hypothèse : pourquoi ont-ils placé cette image ici ? Qu’ont-ils entendu qui les a conduits à faire ce choix ?
Pour les apprenants un peu plus à l’aise, on préparera des questions détaillées, accompagnées de trois réponses possibles. Là aussi, on pourra illustrer les questions, et éventuellement leurs réponses.
Pour les apprenants les plus avancés, on préparera des questions ouvertes, sans proposition de réponse, et on se passera d’illustrations.
Dans tous les cas, là encore, avant la mise en commun, on proposera une deuxième écoute au besoin, pour compléter ou vérifier les réponses.
Trois phases d’appropriation des contenus viennent clore la séance. La première est la phase de mémorisation : elle consiste à réécouter le document en le faisant répéter, énoncé par énoncé, jusqu’à ce que les apprenants l’aient complètement mémorisé.
On clarifie alors la signification de chaque mot qui pose encore problème. Cette étape permet de fixer du lexique et des structures syntaxiques, de les mémoriser en les mastiquant : la répétition à l’oral a donc ici pour objectif la rétention des ressources linguistiques contenues dans le document-support travaillé en compréhension.
Il revient cependant au formateur de faire varier les modes de répétition, afin d’éviter de lasser le groupe. Les modalités suivantes peuvent être mobilisées : répéter tous ensemble ; répéter à deux, en parlant en même temps ; répéter à deux, face à face en se regardant ; répéter à quatre, en parlant en même temps ; répéter chacun son tour ; répéter chacun son tour en s’envoyant une balle ; répéter en chuchotant. On peut faire répéter énoncé après énoncé, ou en regroupant deux énoncés, ou encore en regroupant tous les énoncés d’une même étape du dialogue. Au fur et à mesure qu’on avance dans la répétition, il ne faut pas hésiter à faire répéter depuis le début.
L’étape suivante consiste en une phase de restitution du document dans son entier. En sous-groupes contenant autant d’apprenants qu’il y a d’interlocuteurs dans le document, il s’agit de restituer ce qui a été mémorisé. On n’attend pas ici de mise en scène particulière, et les apprenants peuvent donc rester à leur place ou jouer la scène s’ils le souhaitent. On prolonge ainsi la mémorisation des contenus du document, en proposant un aboutissement.
Enfin, la dernière étape est une phase de récapitulation/de synthèse. L’enseignant invite les participant.es à formuler ce qui a été travaillé à la séance. Les images servent de supports.
Une trace écrite qui consiste en la transcription du dialogue accompagnée des images ayant servi à la mémorisation est distribuée en toute fin de séance.
Quels supports audio choisir ?
Tous les genres oraux ne se ressemblent pas : les possibilités de travail sont donc multiples. On peut ainsi travailler sur des genres dialogaux, c’est-à-dire qui mettent en jeu plusieurs interlocuteurs (rendez-vous administratif, conversation amicale, interview, débat, etc.), ou des genres monologaux (annonce publique, message sur un répondeur, reportage radio, informations, discours politique, etc.). Les formes brèves, telles que les annonces publiques ou encore les serveurs et messages vocaux ont toute leur place en formation, d’autant plus qu’elles constituent des situations authentiques auxquelles les apprenants peuvent être confrontés, dans des situations où les enjeux peuvent être importants (ne pas rater son train ou son bus, comprendre ce que dit un correspondant téléphonique).
L’analyse des caractéristiques d’un document permet au formateur ou à la formatrice d’estimer le niveau de difficulté de l’enregistrement pour les participants à la formation. On pourra ainsi prêter attention :
- aux caractéristiques prosodiques et phonétiques : débit plus ou moins rapide, prononciation plus ou moins standard
- au contexte sonore : si l’enregistrement a un fond sonore bruyant (annonce dans une gare, conversation en soirée, etc.), la compréhension est plus difficile. Un locuteur-expert sait ‘boucher les trous’, faire des hypothèses pertinentes lorsqu’il a du mal à percevoir certains sons, lorsqu’il n’entend que le début d’un mot par exemple. Pour un locuteur débutant dont le stock lexical est plus restreint, la tâche est plus ardue.
- au nombre de locuteurs : un monologue est plus facile à aborder qu’une conversation qui fait intervenir plusieurs locuteurs, qui se positionneront différemment, se contrediront, voire s’interrompront les un.es les autres.
- aux indices relatifs à la situation globale de communication : y a-t-il des bruits de fond permettant d’identifier le lieu ? Les interlocuteurs nomment-ils où ils sont et/ou ce qu’ils sont en train de faire (par exemple, phrase d’introduction d’une émission) ? y a-t-il rapidement des indices permettant de caractériser la relation qui lie les interlocuteurs ?
- au registre sociolinguistique : standard, formel, informel ? Relevant de la sphère publique ou de la sphère privée ? Selon les habitudes sociolangagières des apprenant.es, le registre du document leur sera plus ou moins familier.
- à la durée du document : logiquement, un document long demande plus de concentration qu’un document bref.
- aux structures langagières mobilisées : sont-elles fréquentes et/ou déjà connues des apprenants ? sont-elles très proches de l’écrit (l’oral est alors de l’écrit oralisé) ou relèvent-elles de l’oral spontané ?
- au lexique : est-il fréquent et/ou déjà connu des apprenants ? relève-t-il du concret ou de l’abstrait ?
- aux connaissances et aux implicites socioculturels nécessaires pour comprendre l’enregistrement.
- dans le cas où il s’agit d’un document audiovisuel, l’image soutient-elle la compréhension de ce qu’on entend ? ajoute-t-elle du contenu ?
En conclusion, pour accompagner les apprenants vers l’autonomie à l’oral, on veillera à prendre comme supports des documents relevant de genres diversifiés (annonces, messages enregistrés, interactions, émissions, etc.), authentiques ou proches de situations authentiques, ancrés dans un contexte, et dont les locuteurs poursuivent un ou des objectifs communicatifs. Il est également préférable de confronter les apprenants à des enregistrements mettant en jeu des locuteurs différents, afin de les entraîner à comprendre différentes voix et différentes manières de parler.
2.4. Travailler les composantes linguistiques et sociolinguistiques
Quand on aborde la question de l’enseignement-apprentissage de la composante linguistique de la compétence de communication, autrement dit des régularités grammaticales, lexicales, phonétiques, orthographiques, etc., on distingue généralement deux démarches : l’approche déductive et l’approche inductive.
L’approche proposée ici est d’inspiration inductive, et conduite uniquement à l’oral. Elle est commune au travail lexical, phonétique, grammatical et sociolinguistique. L’approche inductive privilégie la découverte, par l’apprenant, des régularités à partir d’exemples de productions langagières. Dans cette démarche, le rôle de l’enseignant consiste à sélectionner et réunir du matériau langagier, de préférence authentique : l’enseignant constitue ainsi un corpus susceptible de permettre à l’apprenant de dégager les régularités concernant un point particulier, et le guide de manière plus ou moins serrée vers la mise au jour de ces régularités. Le résultat peut consister en un tableau de formes, ou en une conceptualisation explicite recourant à du métalangage. Une fois ce travail effectué, on peut passer à une phase d’entraînement et de systématisation à partir d’exercices.
Nous en exposons ici les étapes.
La première étape du travail consiste en la découverte du corpus par les apprenant.es. Ce corpus de mots ou d’énoncés, qui constituera la base de travail pour la séance, a été soigneusement préparé en amont par l’enseignant ou la formatrice ; il est présenté sous forme d’illustrations uniquement.
En fonction de l’objectif de la séance, les modalités d’animation peuvent varier. Si on cherche à travailler sur des énoncés très spécifiques, on peut par exemple disposer les illustrations sur une table autour de laquelle les apprenants sont réunis, et leur demander de pointer l’illustration correspondant à l’énoncé produit par l’enseignant : ce dernier aura préparé les énoncés en fonction de son objectif, par exemple l’opposition entre forme affirmative et forme négative, ou encore entre présent et passé composé. Si on travaille sur des éléments lexicaux isolés, pour mettre en évidence une opposition phonologique par exemple, on peut distribuer une image à chaque apprenant, et demander simplement de nommer ce qui y figure.
Au fur et à mesure que les apprenants découvrent le corpus, l’enseignant établit des regroupements : il dispose les images à la vue de tous en les classant – souvent en colonnes. Ainsi, si son objectif, pour la séance, consiste à distinguer le présent du passé composé, il affiche d’un côté toutes les images montrant une action au passé, et de l’autre celles représentant une action au présent. S’il travaille en phonétique sur la distinction entre [a] et [ã], il place d’un côté les images des mots contenant le son [a], et de l’autre ceux qui contiennent le son [ã]. Attention : toute cette étape se déroule sans que l’enseignant explicite le principe qui préside à son classement. Il établit donc lui-même le classement, sans dire pourquoi il place telle ou telle image à telle ou telle place, et ce même si la question est formulée par un apprenant.
On passe ensuite à une phase d’observation, d’induction et de conceptualisation des régularités. L’enseignant invite les apprenants à observer le corpus ainsi classé, et à émettre des hypothèses quant à la raison de ce classement. Pour cela, il répète à voix haute les mots ou énoncés, colonne par colonne, jusqu’à ce que les apprenants parviennent à trouver le ou les critères de classement. Au besoin, il n’hésite pas à relancer le groupe en demandant ce qui est identique d’un côté, différent de l’autre, si les apprenants entendent la même chose lorsqu’il répète, etc.
Cette étape est importante parce qu’elle met les apprenants en recherche : ils formulent des hypothèses, qui seront confirmées ou infirmées par la suite. C’est une phase de structuration au cours de laquelle on passe collectivement de l’observation à la conceptualisation – sans nécessairement recourir à une terminologie grammaticale extrêmement précise. Les apprenants écoutent, comparent, verbalisent et mettent en commun leurs réflexions, renforçant ainsi leur capacité à analyser le matériau langagier auquel ils sont confrontés.
La troisième étape vise la systématisation et l’appropriation. On y propose des activités d’entraînement en sous-groupes ou en groupe complet. Les activités ont une dimension ludique (mémory, mistigri par exemple) : elles visent, par la répétition, la mémorisation et l’automatisation des régularités par les apprenant.es.
La quatrième phase a pour objectif la transposition et le réemploi de la régularité qui vient d’être mise au jour, dans le même contexte thématique (réemploi guidé) ou dans un autre contexte (réemploi libre). Les apprenants consolident ainsi leurs acquis en les généralisant. Il est en outre important d’inciter les apprenant.es, notamment si le temps manque pour développer cette phase, à réemployer ce qui vient d’être vu en dehors de la séance de formation, dans des situations de la vie quotidienne.
On termine, comme pour les séances de compréhension orale, par une phase de synthèse. L’enseignant ou la formatrice clôt enfin la séance en distribuant une trace écrite.
2.5. Travailler la production et l’interaction orale
Comme on l’a dit plus haut, la ou les séances consacrées à la production ou à l’interaction orale arrivent en fin de séquence ou après plusieurs séances : les prises de parole des apprenants seront ainsi nourries du travail sur les ressources langagières effectué lors des séances précédentes, qui permet d’avoir quelque chose à dire, et les moyens pour le dire. S’il met les apprenants en situation de produire dès le début de la séquence, l’enseignant ne peut en effet pas voir ce qui a été acquis, mais seulement ce que les participant.es savent déjà faire – ou ce que certain.es seulement ont le courage de montrer. Ces moments sont alors généralement décevants, car les prises de parole sont peu abouties ; ils présentent en outre le risque également de renforcer des formes de hiérarchie dans le groupe, en ne laissant de place qu’à celles et ceux qui savent déjà faire. On ne saurait donc que trop insister sur la nécessité, pour l’enseignant ou la formatrice, de préparer soigneusement les séances de production ou d’interaction, qui doivent être conçues comme la mise en pratique, dans une situation de communication travaillée en amont en compréhension, de tous les outils linguistiques, sociolinguistiques et pragmatiques fournis. Le jeu de rôles en interaction ou l’activité de production de discours en continu viennent ainsi clôturer la séquence.
Notre proposition consiste donc à consacrer suffisamment de temps au travail d’une activité de production ou d’interaction, pendant laquelle on travaillera méthodiquement sur le canevas type de la production ou de l’interaction visée, ainsi que sur les formulations possibles à chaque étape de ce canevas – le tout en visant la mémorisation. Si on veut que les apprenants soient capables, après la séance, de remobiliser seuls, dans une situation authentique, ce qu’ils ont appris, on ne peut en effet se contenter d’un rapide exercice de mise en pratique en classe. Lorsqu’on travaille sur une situation spontanée, non préparée, il faut en outre résister absolument à la tentation de faire écrire l’interaction à l’avance : si le support écrit parait, en classe, très rassurant pour les apprenants qui en maîtrisent les codes, il ne permet cependant pas de les préparer efficacement à se débrouiller en dehors de la classe, sans temps de préparation. En effet, la capacité à être à l’aise à l’oral dans une situation non préparée de la vie quotidienne se travaille et s’améliore par des exercices. Apprivoiser la peur de l’erreur, accepter de ne pas avoir préparé une phrase parfaite avant de la dire, devenir plus rapide pour prendre la parole, gérer la frustration de ne pas réussir à dire aussi bien en langue cible qu’on le dirait dans sa ou ses langues premières, oser prendre la parole dans une situation où on n’a pas tout compris, savoir demander à son interlocuteur de répéter, clarifier, reformuler, ralentir le débit, savoir soi-même dire autrement ce qu’on n’arrive pas à faire comprendre : tout cela se pratique. Il est donc important de mettre régulièrement les apprenants en situation d’interaction ou de production spontanée, dans diverses situations simulées.
Il faut en outre dédramatiser l’erreur : cette dernière constitue en effet un outil pour apprendre et enseigner, un marqueur des acquisitions en cours, et non une faute génératrice de honte à éviter à tout prix. Le regard sur le statut de l’erreur est donc éventuellement à travailler avec les apprenant.es. De son côté, l’enseignant doit également apprendre à distinguer, parmi les erreurs, celles qui seront à corriger en priorité, et celles qui ne le sont pas : plus l’erreur entrave la compréhension, et plus il sera urgent de la corriger. On s’attachera ainsi à juger d’abord la réussite de l’interaction (composante pragmatique) et le caractère approprié des usages et formulations (dimension sociolinguistique), en considérant les erreurs d’ordre linguistique à l’aune de la manière dont elles font ou non obstacle à la compréhension du message délivré. Enfin, lors de la mise en pratique, on n’interrompra pas la production ou l’interaction, mais on notera discrètement ce qui nécessite un retour, qu’on effectuera plus tard.
En formation, l’objectif principal des séances de pratique de l’oral sera donc d’inciter les apprenants à communiquer le plus naturellement et le plus authentiquement possible, mais aussi de leur offrir un espace où la bienveillance est de mise, où la prise de risque est possible, où l’erreur est considérée comme nécessaire et normale dans l’apprentissage. On détaille ci-dessous les étapes d’une séance type.
La première phase de travail consiste en une remobilisation de ce qui a été travaillé pendant la séquence, c’est-à-dire les séances précédentes : l’objectif est d’amener le groupe à récapituler collectivement les principaux contenus. Il s’agit donc d’inciter les apprenants à se remémorer les activités réalisées, les composantes travaillées (compréhension orale, structures langagières, lexique, phonétique, grammaire) et les contenus acquis ; l’enseignant pourra s’appuyer sur l’affichage qui aura été fait au fur et à mesure des acquisitions (des séances). On peut en outre proposer aux apprenants de s’aider des traces écrites distribuées au fil des séances, qu’ils auront ramenées avec eux.
On propose ensuite un échauffement du corps et de la voix qui sert d’entrée en matière à la séance. L’objectif est de mettre tout le monde à l’aise, de se mettre en mouvement, de libérer la parole et de se préparer aux activités de production ou d’interaction orale. On mobilise pour cela de courts exercices piochés dans des méthodes de théâtre (Activités théâtrale en classe de langue – techniques et pratiques de classe, A.Payet, Clé International).
La troisième étape consiste en une exposition de la situation de communication qui va être travaillée. L’annonce est faite par l’enseignant ou la formatrice, qui invite les apprenants à parler de leur vécu par rapport à cette situation : y ont-ils déjà été confrontés ? comment cela s’est-il passé ? Ont-ils eu des difficultés à comprendre ? à s’exprimer ? à quel propos ? Ce temps constitue également l’occasion de remobiliser du lexique et des structures apprises lors des séances précédentes : les apprenants se souviennent-ils de mots ou d’énoncés qui sont utiles dans cette situation ?
On passe ensuite à la reconstitution collective de l’interaction ou de la production. Pour être autonomes après la séance, les apprenants vont avoir besoin de s’approprier la structure de l’interaction ou de la production d’une part, les formulations appropriées correspondant à chaque étape d’autre part. Si la construction de la séquence suit les recommandations formulées plus haut, le type d’interaction ou de production attendu ici a été travaillé au préalable lors d’une séance de compréhension orale : on va donc s’appuyer sur ce qui a été mémorisé par les apprenants, et profiter de la séance pour structurer et enrichir les acquis.
Pour animer cette étape du travail, l’enseignant dispose d’un jeu d’illustrations correspondant au canevas de l’interaction ou de la production attendue – qui doit donc avoir été analysé en amont, pendant la préparation de la séance. Il lui faut également un tableau ou un pan de mur permettant d’afficher les images au fur et à mesure. Dans un premier temps, l’enseignant garde les images en main sans les montrer aux apprenants, et invite ces derniers à reconstituer la production ou l’interaction : que peut-on ou doit-on dire dans la situation proposée ? Lorsqu’un apprenant propose un énoncé correspondant effectivement à une étape attendue, l’enseignant valide la réponse en montrant l’illustration correspondante ; en fonction du niveau du groupe, il demande au groupe si on pourrait dire la même chose autrement, afin d’enrichir l’échange et de solliciter plus spécifiquement les apprenants les plus avancés. L’image est ensuite accrochée à la vue de tous. Au fur et à mesure de l’accrochage, l’enseignant veille à respecter l’ordre dans lequel les étapes se déroulent. À la fin de cette activité, le groupe dispose du canevas complet, visible par tous : ce dernier servira de référence pour la phase de travail suivante.
L’enseignant propose ensuite un temps de mémorisation nécessaire à la réussite de la phase de mise en pratique qui suivra. Par la répétition, il s’attache à ce que chacun puisse s’approprier les formulations sur lesquelles le groupe s’est accordé lors de la reconstitution du canevas. L’enseignant fera varier les modalités de répétition (voir la partie sur travailler la compréhension orale) pour éviter de générer de la lassitude.
On passe enfin à la dernière étape, celle du jeu de rôles : on va y mettre en pratique le canevas et les formulations qui viennent d’être travaillés, dans une mise en scène proche de la situation authentique qui pourrait être vécue en dehors de la classe. L’objectif consiste à rendre les apprenants autonomes dans le rôle qui est le leur au quotidien : si la situation travaillée met en jeu une médecin, un agent de la CAF ou encore une vendeuse, c’est donc l’enseignant ou la formatrice qui endossera ces rôles, pendant que les apprenants joueront le patient, la bénéficiaire d’allocations familiales ou l’acheteur. Cette répartition des rôles permettra en outre au formateur de décider s’il s’en tient au canevas étudié, ou s’il ajoute des questions en fonction du degré d’aisance et du niveau de chaque apprenant.e qui se prête au jeu.
On pourra ici aménager la salle et apporter quelques objets afin de restituer l’ambiance du lieu où l’interaction se déroule. Seul.es les apprenants volontaires viendront jouer la scène ; il est cependant possible d’intégrer dans la scène d’autres membres du groupe, qui joueront le rôle de figurants : d’autres patients dans la salle d’attente du médecin, des passants dans la rue ou encore d’autres usagers dans les transports en commun. Les apprenants qui ne sont pas inclus dans la scène seront, pour leur part, en observation. À l’issue de chaque production ou interaction, l’enseignant posera une ou deux questions au groupe afin de vérifier la compréhension du message ou de l’échange qui a eu lieu. Il corrigera au besoin une ou deux formulations erronées, en les faisant répéter à tout le groupe. Il veillera également à faire revoir, si besoin, les moyens de dire qu’on ne comprend pas, ou encore de demander à l’interlocuteur de répéter, de reformuler, de ralentir le débit.
2.6 Repartir avec une trace écrite
Nous avons insisté, dans ce module sur la nécessité de travailler séparément oral et écrit, et avons tenté par la suite de proposer des outils permettant d’accompagner l’acquisition de la compétence de communication orale sans s’appuyer sur des compétences écrites inégalement développées parmi les participants. Pour autant, en fin de séance, il est bienvenu de distribuer une trace écrite, qui servira d’aide-mémoire à celles et ceux qui le souhaitent. Qu’on le veuille ou non, l’absence de trace écrite donne en effet parfois aux participants l’impression que le groupe n’a pas vraiment travaillé au cours de la séance, ou que le travail effectué n’était pas très sérieux. Il demeure donc indispensable de donner aux apprenants un support qui reprend les contenus travaillés lors de la séance. Ce support sera impérativement illustré par les images utilisées pendant la séance, afin de permettre aux lecteurs-scripteurs débutants de s’en emparer plus aisément : ils pourront en effet se remémorer le contenu étudié grâce à la reconnaissance des images vues au cours de la séance. On veillera en outre à la disposition de l’espace de la page, afin que la correspondance entre images et écrit soit la plus claire possible.
Pour une séance de compréhension orale, on pourra par exemple distribuer la transcription du dialogue illustrée par les images de la séance qui ont servi à sa mémorisation. Afin de faciliter la lecture en autonomie pour les lecteurs-scripteurs débutants, nous conseillons de transcrire le dialogue en majuscules. On propose également d’envoyer la version audio du dialogue via whatsapp ou autres messageries.
Pour une séance de travail lexical, la trace écrite contiendra les illustrations en y associant le mot ou l’énoncé qui y correspond, toujours en majuscules à destination des lecteurs-scripteurs débutants. Pour une séance de travail phonétique, on classera les mots en colonnes en fonction des phonèmes travaillés. Pour chaque mot, on fera figurer l’illustration et sa transcription écrite. Après une séance de travail grammatical, la trace écrite peut reprendre le corpus observé et manipulé par le groupe pendant la première étape de la séance. On prendra soin d’illustrer chaque énoncé par une image. Pour une séance de travail sociolinguistique, la trace écrite reprendra les éléments du corpus en les classant en colonnes en fonction de leur contexte d’utilisation. Pour chaque mot ou énoncé, on fera figurer l’illustration et sa transcription écrite. Enfin, pour une séance d’interaction orale, on reprendra la structure de l’interaction ainsi que les différentes formulations retenues par le groupe pour chaque étape du canevas. On partira donc d’une trace écrite vierge sur laquelle seules les images illustrant les étapes du canevas sont imprimées, et on complétera le document par les énoncés qui ont été proposés au cours de la séance. Dans le cas où on ne dispose pas d’un accès immédiat à une photocopieuse en fin de séance, on peut dans un premier temps donner seulement les images, dans l’ordre du canevas, sans les énoncés puisque les apprenants les ont mémorisés lors de la séance ; on leur donnera alors la trace écrite complète à la séance suivante. Là encore, on recourra aux majuscules et à un découpage en groupes de sens pour les apprentis lecteurs-scripteurs.
Unité 3 : Travailler spécifiquement l’écrit, outils pour l’alphabétisation
Après avoir démontré dans l’unité 2, l’importance de travailler les compétences orales sans recourir à l’écrit, nous proposons dans cette dernière unité de nous concentrer sur le travail des compétences écrites et particulièrement à destination d’un public en situation d’alphabétisation.
En effet, pour développer les compétences écrites d’un public en situation d’analphabétisme, il est nécessaire de prévoir des temps différenciés au sein du groupe classe, les activités d’enseignement/apprentissage relevant du processus d’alphabétisation étant bien différentes de celles destinées à un public FLE. Pour les uns, il s’agit d’entrer dans le monde de l’écrit pour y découvrir les codes (apprendre à lire et à écrire en langue étrangère, à savoir le français) ; pour les autres, il s’agit seulement de transférer leur connaissance du code écrit de leur langue première en langue étrangère, à savoir celle qu’ils sont en train d’apprendre, le français en l’occurrence ici.
Nous faisons donc le choix de consacrer cette dernière partie à l’entrée dans l’écrit pour un public en situation d’analphabétisme exclusivement. Nous mettons de côté les supports à destination d’un public relevant du FLE, car nous estimons que les ressources pédagogiques existantes pour ce public sont largement accessibles et bien répertoriées. En revanche, le monde de l’alphabétisation est vaste et il est très facile de s’y perdre.
Nous débuterons par un bref rappel historique de l’alphabétisation, en soulignant l’évolution des approches et des définitions. Nous explorerons ensuite les fondements de la lecture et de l’écriture, en définissant les mécanismes impliqués dans ces activités. Enfin, nous partagerons des outils et des méthodes que nous jugeons efficaces pour enseigner la lecture et l’écriture aux adultes apprentis lecteurs/scripteurs. Avant de conclure l’unité et le module avec le partage d’une bibliographie et sitographie, nous aborderons la posture du formateur en alphabétisation pour adultes, en fournissant des conseils pratiques sur la manière de favoriser un environnement propice à l’apprentissage.
3.1. Alphabétisation : évolution des approches et définitions
Historiquement dans les années 50, on parle d’alphabétisation traditionnelle ou scolarisante. En 1958, l’UNESCO adopte cette première définition : « Une personne est analphabète si elle ne peut ni lire ni écrire, en le comprenant, un énoncé simple et bref se rapportant à sa vie quotidienne ».
Tout se passe comme dans un système scolaire (matériel utilisé, contenu des programmes, méthodes d’évaluation). L’approche est centrée sur les processus de décodage et d’encodage de la lecture et de l’écriture, déconnectés d’autres compétences. Cette approche sous-entend un programme rigide, c’est l’idée d’une alphabétisation de masse, il faut alphabétiser le plus de gens possible sans aucune différenciation : tout le monde doit accéder à la même chose.
Cette définition a été remise en question, elle a évolué. Dans les années 60 et 70, on parle dorénavant d’alphabétisation fonctionnelle. L’UNESCO en 1978 propose une nouvelle définition : « Une personne est analphabète du point de vue fonctionnel si elle ne peut pas se livrer à toutes les activités qui requièrent l’alphabétisme aux fins d’un fonctionnement efficace de son groupe ou de sa communauté et aussi pour lui permettre de continuer la lecture, l’écriture et le calcul pour son propre développement ou celui de sa communauté. »
L’alphabétisation fonctionnelle renvoie aux compétences nécessaires à l’intégration active à la société, et notamment au monde professionnel. C’est donc l’idée que l’alphabétisation a un objectif très concret, on est dans une approche très utilitariste. On a fait basculer la question de l’apprentissage de la lecture/écriture du côté de son aspect fonctionnel en lien avec la vie quotidienne, avec l’idée sous-jacente d’un besoin d’un oral et d’un écrit de survie. Les références, ce sont la vie quotidienne et la vie professionnelle. L’entrée ne se fait plus par le code de la langue écrite en tant que telle. Les supports de base deviennent des documents de la vie quotidienne. C’est une définition qui mêle des aspects pédagogiques et économiques : l’alphabétisation pour pouvoir faire au quotidien en tant que citoyen, parent d’élève, travailleur, etc.
Dans les années 70, une autre approche de l’alphabétisation apparaît : c’est l’alphabétisation conscientisante visant la prise de conscience de soi en tant que sujet. L’auteur de référence est Paulo Freire : « Personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde » (Freire, 1974).
Ici, l’alphabétisation est juste un moyen, ce n’est pas un objectif en tant que tel. L’objectif est politique et philosophique : libération de l’individu, co-éducation. C’est une approche militante. Cette approche part du monde et du vécu de la personne analphabète. Elle repose sur une relation égalitaire entre l’enseignant et l’apprenant afin d’encourager l’émergence des capacités critiques, et donc transformatrices de la réalité, de ces derniers. Il faut s’appuyer sur le « faire avec » et non le « faire pour » dans l’objectif d’aider les apprenants à exercer leurs compétences critiques, à prendre la parole, et à se positionner en tant que citoyens.
Ces 3 approches existent toujours aujourd’hui de manière simultanée. On a des outils à notre disposition qui circulent.
Il y a eu une tentative de réponse à cette trilogie d’approches, avec la notion d’alphabétisation situationnelle. Elle mise à la fois sur deux types d’alphabétisation : l’alphabétisation fonctionnelle et l’alphabétisation de conscientisation de Paulo Freire. Elle est considérée comme une activité éducative globale dont le point de départ est la situation des populations, leurs conditions de vie. On considère que les programmes et les contenus ne sont pas les mêmes selon le contexte (on ne fait pas de l’alphabétisation de la même manière en France ou au Brésil).
Ce qui est mis en valeur dans cette définition, c’est que l’alphabétisation est un droit fondamental. On n’est ni sur une approche qui se centre sur le code, ni sur l’économie ou sur la personne en tant que citoyen, mais on est sur la notion de droit. L’alphabétisation renvoie à une pratique sociale contextualisée, aux besoins de la communauté, mais aussi à l’identification de situations problèmes.
C’est l’idée d’une alphabétisation qui est intégrée et non isolée, cela fait partie d’un processus. Il est question d’identifier les situations qui constituent des problèmes pour les publics cibles et d’en définir des contenus (dont l’apprentissage du lire/écrire).
Il y a donc l’idée d’alphabétisation plurielle. L’approche vise à induire un changement social et des apprentissages.
Pour finir, aujourd’hui, le terme utilisé pour parler d’alphabétisation est celui de la littératie/litteracy.
En 2013, l’OCDE définit la littératie comme « la capacité de comprendre, d’évaluer, d’utiliser et de s’engager dans des textes écrits pour participer à la société, pour accomplir ses objectifs et pour développer ses connaissances et son potentiel. »
(https://www.oecd.org/fr/competences/piaac/sample%20items_all_fr.pdf)
On peut aussi retenir la définition de Jaffré (2004), linguiste de l’écrit, ayant l’avantage d’inclure l’ensemble des significations attribuées à la littératie : « La littératie désigne l’ensemble des activités humaines qui impliquent l’usage de l’écriture, en réception et en production. Elle met un ensemble de compétences de base, linguistiques et graphiques, au service de pratiques, qu’elles soient techniques, cognitives, sociales ou culturelles. Son contexte fonctionnel peut varier d’un pays à l’autre, d’une culture à l’autre, et aussi dans le temps. »
La lecture et l’écriture se trouvent ainsi mises en lien dans une même notion et ne peuvent donc s’envisager qu’en lien aux contextes dans lesquels elles s’inscrivent.
Ces considérations ne sont pas sans conséquence sur l’enseignement de la lecture et de l’écriture. Elles impliquent notamment une prise en compte constamment renouvelée des pratiques dans un contexte où les tâches et les savoir-faire en matière d’écriture se complexifient.
Avec le temps et l’apport de la littératie, l’alphabétisation a donc recouvert d’autres aspects du rapport à l’écrit : « L’alphabétisation ne se réduit pas, ou plus, à l’apprentissage des mécanismes élémentaires de décodage et d’encodage des signes graphiques : l’alphabétisation est un processus d’acculturation à l’écrit qui a pour objectif la maîtrise technique du code graphique, mais aussi et surtout son utilisation et sa maîtrise sociale, pratique et symbolique.» (Adami, 2009)
On retiendra de l’évolution de ces différentes approches et définitions que l’alphabétisation est une activité pluridimensionnelle. La lecture-écriture n’est pas à envisager uniquement comme une habileté technique, mais elle recouvre différents aspects (sociaux, culturels et ethnographiques) et elle s’inscrit dans des contextes particuliers à prendre en compte.
3.2 Qu’est-ce que lire et écrire ?
Comme l’a montré l’apport de la littératie, étudier l’apprentissage de la lecture (ou « décodage ») indépendamment de celui de l’écriture (ou « encodage ») n’aurait aucun sens.
On ne peut l’analyser que sous le joug de nombreux aspects indissociables les uns des autres et c’est pourquoi le Collectif Alpha a cherché à produire une définition qui prendrait en compte cette complexité. Elle commence avec une déclaration simple :
« Tout le monde s’accorde à dire que lire, c’est comprendre un message composé de signes écrits. Ces signes écrits sont des mots, formés avec 26 lettres et agencés d’une certaine façon dans un espace donné avec un support donné, une feuille, un écran … » (Michel, 2013)
Lire, c’est donc bel et bien la compréhension d’un code écrit. Mais pour que ce code prenne sens, la lecture demande certaines habiletés : « il faut savoir reconnaître des mots rapidement, il faut aussi connaître les lettres et savoir comment elles se mettent ensemble pour faire des syllabes qu’il faut savoir déchiffrer si on ne reconnaît pas le mot directement. » (Michel, 2013)
D’un côté, la lecture mobilise la capacité mémorielle de visualisation des mots ; de l’autre, elle demande au lecteur d’être capable de transformer les signes en sons pour produire des mots, autrement dit pour les déchiffrer. A ces compétences s’ajoute la capacité à « mettre en œuvre des stratégies pour tirer du sens de ce code écrit. En effet, lire n’est pas seulement décoder des signes un à un, c’est articuler ces signes pour en dégager un sens, c’est se construire une image mentale de ce qu’on décode » (Michel, 2013). Le lecteur doit en effet être capable d’accéder au sens du code auquel il est confronté de manière active.
Le Collectif Alpha conclut sa définition ainsi : « enfin lire est indissociable d’écrire. Écrivant lui-même, le lecteur met en pratique les différentes dimensions de la lecture et les intègre ainsi d’autant mieux. » (Michel, 2013)
Être lecteur demande donc d’être impacté par le monde de l’écrit. Apprendre à lire ne peut pas être dissocié d’apprendre à écrire. L’un ne se fait pas sans l’autre même si l’entrée dans la lecture demeure en général plus facile que celle dans l’écriture.
3.3 Les mécanismes de lecture-écriture
De nombreuses méthodologies coexistent pour développer la compétence de lecture-écriture. Elles se distinguent les unes des autres en fonction notamment des perspectives ascendantes, descendantes ou interactives d’approche de l’écrit.
3.3.1 L’approche par les sons
L’approche la plus traditionnelle consiste à enseigner la lecture en se concentrant sur les sons et les phonèmes. Les pratiques scolaires appellent cette pratique le « b, a, ba » ou la méthode syllabique. C’est un des plus anciens enseignements de l’école moderne mis au point par le pasteur Stuber en 1762. Plus populaire sous le nom de « méthode Boscher » depuis 1906, elle est reconnue pour sa progression logique, son cheminement par étapes vers l’autonomie et la fluidité en lecture. À partir du son des lettres, on apprend à les associer, puis à lire les syllabes et petit à petit les mots, même ceux qui ne sont pas significatifs pour nous.
Ce système consiste linguistiquement à associer des graphèmes à des phonèmes. Dès que les syllabes simples sont assimilées, le déchiffrage des sons composés est abordé, à deux puis trois lettres (les “oin”, “eau”, “ill”, etc.). Mais, le temps que des automatismes se créent, que le lecteur « reconnaisse » spontanément certains mots sans avoir à chaque fois à les déchiffrer peut prendre du temps, temps dont nous ne disposons pas en formation pour adultes.
En didactique du français, on parle de l’approche « bottum-up » ou « du bas vers le haut » (Cornaire, 1999), car on part des unités de faible niveau comme le code, la graphie, les mots et les phrases pour accéder au sens grâce au déchiffrage.
3.3.2 L’approche par le sens
L’approche par le sens, généralement présentée comme alternative à la précédente, met l’accent sur les « acquisitions globales ». En didactique du français, on parle de l’approche « top-down » ou « du haut vers le bas », car il s’agit d’un principe selon lequel « la compréhension est un processus d’élaboration et de vérification continues d’hypothèses » (Cornaire, 1999).
Le lecteur formule des hypothèses à propos du sens du texte à partir d’indices. Ce modèle s’appuie sur une approche globale, c’est le contexte qui définit le sens d’un mot. Le son n’a donc pas d’importance dans cette approche qui privilégie la mémorisation visuelle.
On l’appelle aussi méthode globale. Elle vise à enseigner la lecture sans passer par la maîtrise automatique et orale des lettres et syllabes.
L’avantage, c’est qu’on aborde la lecture des mots sans avoir appris les sons syllabiques. Les apprentis lecteurs-scripteurs accèdent à une lecture précoce rapidement, ce qui peut être source de motivation.
L’inconvénient, c’est qu’ils ne gagnent pas totalement en autonomie puisqu’il ne savent pas déchiffrer les mots inconnus.
3.3.3 Une approche intermédiaire : l’approche interactive
Chacune de ces deux approches amène à des écueils, car elles ne traitent pas le monde de l’écrit dans sa totalité. La conception ascendante de l’apprentissage de la lecture, en se concentrant sur l’aspect phonétique du monde de l’écrit, pourrait faire oublier à l’apprenti lecteur la recherche de sens. À l’inverse, la conception descendante le mènerait à trop s’éloigner du texte lui-même.
L’approche interactive combine les techniques de la syllabique en intégrant la rapidité de lecture de la globale. Le principe de cette méthode est de faire en sorte que l’apprenant ne soit plus passif, mais qu’il construise activement une compréhension d’ensemble.
F. Cicurel (1991) la définit ainsi : « L’approche interactive a pour but de vouloir favoriser la réceptivité du texte par le lecteur. Cette réceptivité se trouve optimisée si, avant et au cours de la lecture, on suscite chez l’apprenant la production d’hypothèses, d’idées anticipatrices, en partie grâce aux connaissances qu’il a en mémoire, et qu’il faut « réactiver » (connaissances de type encyclopédiques aussi bien que linguistiques). Il se produit alors un phénomène d’interaction entre ce que le lecteur connaît et les données du texte. »
Ce modèle, à l’instar du global, s’appuie sur les indices visuels d’un texte, mais cherche à en faire découvrir des repères plus solides comme sa structuration, la reconnaissance du thème ou l’idée principale. Dans cette approche, on juxtapose des modèles ascendants et descendants.
Une méthode interactive de la lecture combine donc l’apprentissage du code et de la construction de sens.
3.4 Outils et approches méthodologiques
Les cours d’alphabétisation ne vont pas suivre une démarche en particulier, mais vont s’adapter avant tout aux besoins des apprenants présents. Aussi, ils mobilisent des outils divers, issus de plusieurs approches, dans le but de présenter l’écrit dans sa complexité et permettre aux apprenants de choisir leurs propres modes d’apprentissage.
L’hétérogénéité qui caractérise généralement les groupes d’apprenants pousse à privilégier une diversité d’approches, plus apte à donner les moyens d’une véritable appropriation.
On a fait le choix de présenter ici certaines méthodologies qui fonctionnent et ont fait leurs preuves auprès d’un public adulte en alphabétisation.
3.4.1 La méthode naturelle de lecture écriture (MNLE)
La méthode naturelle de lecture écriture (MNLE), créée par De Keyzer en 1999, s’appuie sur la démarche analytique dans le sens où elle propose une approche de l’écrit par le sens. Elle a pour point de départ un texte ou des phrases illustrés correspondant au champ d’intérêt des apprenants. Du sens global, les apprenants sont ensuite invités à dégager les éléments constitutifs des phrases et des mots. À partir de leurs habiletés d’analyse, ils vont ensuite comparer les éléments entre eux.
Elle se déroule en plusieurs étapes, allant de la reconnaissance de mots mémorisés à l’aptitude à repérer des analogies orthographiques à la mémoire de premières syllabes pour finalement parvenir à la compétence de conversion phonèmes-graphèmes, indispensable en cas de confrontation à un mot inconnu. Elle mène aussi une approche pluridimensionnelle, prenant en compte les aspects culturels et psychologiques de l’entrée dans l’écrit. Tout l’apprentissage s’appuie sur les connaissances préalables de l’apprenti lecteur et pour ce faire, cette méthode travaille autour de « textes de vie » dictés par l’apprenant lui-même et prenant en compte dès lors son histoire, son vécu, sa dimension affective et sa culture.
Les textes de vie, sécurisants pour l’apprenant, évoquent ainsi un moment de sa vie, un poème qu’il apprécie ou bien répondent à ses centres d’intérêt. Pour favoriser la mémorisation et la prise d’autonomie, cette méthode place l’apprenant dans une démarche active pour qu’il prenne conscience de ses propres stratégies. C’est une démarche d’émancipation personnelle.
Cette méthode utilise des supports spécifiques : les étiquettes cartons qui segmentent les textes et permettent de les réécrire ou de faire des dictées-recherches ; les gammes accordéons qui permettent d’imaginer des histoires à partir d’une unité de sens ; les cahiers répertoires pour mettre en œuvre des analogies menant à la reconnaissance graphique des phonèmes et un cahier d’expression pour y écrire quelques règles de grammaire.
Pour aller plus loin :
- https://www.ablf.be/images/stories/ablfdocs/Caracteres_36int_art3.pdf
- Multiples liens documents (écrits & vidéo) sur l’adaptation de la MNLE aux apprenants adultes par D. De Keyzer: https://cri-aquitaine-pro.org/outils/videos-thematiques/danielle-de-keyser-mnle
- http://www.collectif-alpha.be/spip.php?article283
- PEMF, Fichiers LIRE A & B (infra A1.1), C & D (A1.1-A1): http://www.pemf.fr/site/index.phpclef=PEMF_RECHERCHE_RESULTAT&type=OUT&frcollectionO=114&titre=Fichier%20lire
Des manuels utilisant cette approche :

Du sens au signe – Du signe au sens. Une méthode intégrative pour apprendre à lire et devenir lecteur à l’âge adulte.
MICHEL Patrick
Bruxelles : Éditions du Collectif Alpha, 2013

Apprendre à lire et à écrire à l’âge adulte : Guide méthodologique et pratique
DE KEYSER Danielle
Édition Broché, 11 juin 1999
3.4.2 L’approche Gattegno : la lecture en couleurs
Issue du Silent Way, développée par Caleb Gattegno au début des années 80, cette approche cherche la transmission de la lecture grâce à un système de couleurs associées aux phonèmes. Le « Fidel » est un tableau utilisé pour répertorier toutes les orthographes possibles du français classées par phonème et donc par couleur. Ainsi, la mémoire visuelle des apprenants est mobilisée, et la variabilité orthographique est davantage prise en compte.
Cette approche nécessite de nombreuses heures de cours afin de pratiquer le plus possible le tableau des sons/couleurs. Elle exige également bon nombre d’affichages au sein de la classe.

Pour aller plus loin : https://www.uneeducationpourdemain.org/langues-etrangeres/
3.4.5 La méthode Écrire, Communiquer, Lire, Exprimer, Réfléchir (ECLER)
Il s’agit d’apprendre à écrire en écrivant librement. Elle s’adresse à des personnes qui se débrouillent déjà un peu. L’atelier ECLER offre un environnement sécurisé et encourageant pour s’engager dans l’écriture, tout en enseignant les normes linguistiques telles que la grammaire et l’orthographe. Il s’agit d’une démarche où l’apprenant crée un texte libre, servant de fondement à son apprentissage. Ce processus implique une révision individuelle accompagnée par l’enseignant, favorisant la réflexion et l’action à travers le dialogue. Les leçons apprises sont ensuite consolidées par des exercices basés sur ce même texte. Enfin, la version finale est partagée avec le groupe, soulignant ainsi que l’écriture est un acte de communication. Cette approche permet d’adapter l’enseignement aux besoins individuels tout en maintenant une dynamique de groupe, ce qui la rend particulièrement adaptée aux groupes aux niveaux variés de compétences.


Écrire pour apprendre
Noël Ferrand
L’Harmatan, 2014
Pour aller plus loin :
N.Ferrand, L’atelier ECLER, in Association française pour la lecture n°4, juin 1993:
https://www.lecture.org/revues_livres/actes_lectures/AL/AL42/AL42P38.pdf
Collectif Alpha, Sélection bibliographique commentée pour ECLER, 2005:
http://www.collectif-alpha.be/IMG/pdf/Biblio_Atelier_ECLER.pdf
3.4.6 MaClé ALPHA : Méthode Actionnelle et Communicative d’apprentissage de la Lecture-Écriture pour les adultes en ALPHAbétisation
Cette méthode est récente, elle s’inscrit dans une approche de l’alphabétisation actionnelle. Elle a été conçue par Marion Aguilar, formatrice de formateurs et experte dans le domaine de l’alphabétisation pour adultes. Le manuel concilie acquisition de la lecture et préparation au niveau A1.1 écrit du CECRL.
Le point de départ est un support audio (dialogue) qui présente des situations très concrètes du quotidien. Cette méthode propose de travailler sur des documents authentiques. On part de l’accès au sens pour aller vers l’accès au code et aboutir à une production et du réemploi, avec une approche en entonnoir.
Source et crédit photo : http://maclealpha.scolibris.fr/


La méthode se compose d’un manuel, d’un livret d’écriture, d’un support audio et d’un guide du formateur proposant différents scénarii pédagogiques en fonction des profils langagiers des apprenants. Il est très détaillé et téléchargeable en ligne.
Source et crédit photo : http://maclealpha.scolibris.fr/
Pour aller plus loin :
Ma Clé Alpha, M.Aguilar, Scolibris-Retz, 2017
3.4.7 Focus : apprendre à lire en situation
Cette méthode est également récente, elle s’inscrit elle aussi dans une approche de l’alphabétisation actionnelle. Elle est spécialement conçue pour les adultes novices en lecture, et est élaborée à partir de matériaux authentiques tirés de la vie quotidienne. On travaille en priorité sur l’accès au sens, mais en allant vers un travail d’accès au code. Il y a toujours un travail avec des supports sonores, s’ensuit des activités de lecture et de repérage d’éléments clés du support authentique, de la manipulation de supports authentiques par le prélèvement de mots (travail sur l’ordre alphabétique, segmentation phonèmes/graphèmes) et de la lecture linéaire (globale) des mots appris. C’est une approche très fonctionnelle.

Focus – Apprendre à lire en situation
Blandine FORZY et Marie LAPARADE
Édition Hachette français langue étrangère, 2022
Pour aller plus loin :
site internet du RADYA : http://www.aslweb.fr/ressources/
En somme, il existe de nombreuses méthodes, pouvant être utilisées en fonction des contextes d’enseignement-apprentissage. Il revient donc au formateur de choisir celle(s) qui serai(en)t la(les) plus adaptée(s). Combiner plusieurs pédagogies permettra de couvrir toutes les facettes de l’apprentissage de la lecture et d’offrir aux apprentis lecteurs scripteurs différents outils dont ils s’empareront pour poursuivre leur apprentissage en dehors de la classe.
3.5 Les formateurs : quelle posture ?
Au-delà des méthodes et approches utilisées par l’enseignant en atelier d’alphabétisation, c’est le rôle du formateur et sa posture qui constituent des éléments importants dans la transmission de ces outils.
Dans les formations pour adultes, on parle d’andragogie, « l’art de former les adultes », à l’inverse de la pédagogie, « l’art de former les enfants » dans la mesure où les adultes vont avoir des besoins spécifiques dans leur formation/apprentissage.
Concrètement au cours des activités proposées, cela se traduit par différents réflexes à adopter en tant que formateur.
D’une part, les adultes apprenants doivent savoir pourquoi ils doivent apprendre. L’enseignant doit en effet régulièrement rappeler quel est le sens de telle ou telle activité, dans quel but on la fait et comment il est possible de la refaire chez soi. Les temps de « synthèse » en fin de séance sont des moments importants de l’apprentissage, ils permettent de faire le point sur ce qui a été travaillé, ce qu’on retient de la séance, ce qui a été difficile et facile, ce qui mérite d’être revu à une prochaine séance, etc. Nous conseillons également de faire des révisions régulièrement, toutes les 4 séances par exemple, afin de fixer les apprentissages.
D’autre part, les formateurs doivent contextualiser les apprentissages. Pour chacune des activités proposées il est nécessaire de faire des liens avec la réalité, de leur donner à voir comment il est possible de transférer ce qu’ils sont en train d’apprendre immédiatement dans le réel, dans la vie quotidienne, dans des situations de travail. Une autre manière de contextualiser c’est de travailler à partir de documents authentiques, c’est-à-dire extraits de leur vie quotidienne, auxquels ils sont confrontés en permanence. Il n’existe pas de documents trop difficiles à lire ou à comprendre. Leur utilisation permet d’enseigner la langue qui est couramment utilisée dans la vie quotidienne et qui est omniprésente dans le quotidien des apprenants. Il est vivement conseillé de demander aux apprenants d’amener les documents ou SMS qu’ils reçoivent, qui leur posent des problèmes de compréhension (ordonnances, courriers administratifs, messages de l’école, etc.). Tout ce matériel servira de supports pour l’enseignement. L’enseignant prendra soin de rendre anonymes tous les documents avant de les transformer en supports de cours.
Au-delà de ce qui se passe en formation et des méthodes et outils utilisés, il faut pour l’enseignant mener une réflexion pédagogique en recherche perpétuelle, proche de ses apprenants et de ses besoins.
Il n’existe pas de voie tracée pour entrer dans la lecture. Chaque apprenant trace sa propre voie, en lien avec son vécu, son expérience de scolarisation ou de formation, sa ou ses langues d’origine, le tout engendrant certaines représentations de l’écrit et de soi en tant qu’apprenti lecteur.
Tenir compte des expériences de chacun des apprenants est un élément important à ne pas négliger. Les apprenants ne sont pas « vides », ils ont un parcours antérieur, des connaissances, des savoir-faire et des compétences. Il faut solliciter toutes ces connaissances et compétences déjà acquises et les mettre en valeur. Il s’agit alors de s’appuyer sur ce « déjà-là » pour proposer une formation adaptée, accompagnatrice et ouverte. Cette posture permet notamment de désacraliser l’acte de lecture en le rendant accessible.
De ce constat, il nous semble que l’enseignant ne peut guider les apprenants qu’en cherchant à vouer une véritable attention aux acquis et aux besoins de chacun. Pour proposer une pédagogie véritablement adaptée, l’enseignant se doit de décortiquer les mécanismes mis en place par les apprentis lecteurs et tenter au mieux de comprendre les logiques déployées par chacun. Cette logique est à mettre en lien avec les stratégies de lecture développées par les apprentis lecteurs dans la nécessité d’attribuer un sens à l’écrit. Aussi, il s’agit de démêler les processus inconscients mis en place. Cette posture demande, bien entendu, de prendre du recul par rapport à ses propres évidences, de relativiser son rapport à l’écrit, fruit de sa propre histoire. Ce qui est évident pour lui, personne scolarisée, doit être mis en doute constamment. Sinon, le risque est d’interpréter de façon erronée ce que fait ou dit l’apprenant.
L’enseignant doit faire avec l’apprenant et non à sa place, il est nécessaire de dialoguer avec l’apprenant, dans une optique de co-construction, l’enjeu étant de réussir à discuter de ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, de réfléchir ensemble à comment il est possible de faire autrement.
L’enseignant va ainsi négocier les objectifs d’apprentissage au fur et à mesure du parcours. En privilégiant le dialogue.
Nous pouvons résumer ainsi la première série d’actions du formateur à toujours garder en tête :

Références
Apports théoriques :
-Beacco, J.C, Tagliante, C, Lhote, G, DeFerrari, M. Niveau A1.1 pour le français, référentiel et certification. Paris : Didier FLE.
-Adami, H. (2020). Enseigner le français aux adultes migrants. Paris : Hachette, collection F.
-Cicurel, F. (1991). Lectures interactives. Paris : Hachette.
-Cornaire, C. (1999). Le Point sur la lecture. Paris : Clé International.
-Comprendre, réfléchir et agir le monde : Balises pour l’alphabétisation populaire. Cadre de référence pédagogique de Lire Ecrire Belgique (2017) : https://lire-et-ecrire.be/IMG/pdf/balises_pour_l_alphabtisation_populaire.pdf
-Documents de l’UNESCO : https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000136246_fre
-Freire, P. (1974) Pédagogie des opprimés. Paris : Maspero.
-Jaffré, J.P. (2004). La litéracie : histoire d’un mot, effets d’un concept. Dans : Barré-De-Miniac, C, Brissaud, C. & Rispail, M. (dirs.). La Littéracie- conception théoriques et pratiques d’enseignement de la lecture-écriture. pp. 21-41.
-Torunczyk, A. (2000). L’Apprentissage de l’écrit chez les adultes. Paris : L’Harmattan.
-Vadot, M. (2017). Le français, langue d’« intégration » des adultes migrant·e·s allophones ? : rapports de pouvoir et mises en sens d’un lexème polémique dans le champ de la formation linguistique (thèse).
-Publications du collectif alpha Belgique, à lire sur leur site : https://www.collectif-alpha.be/
Manuels et méthodes supplémentaires pour l’alphabétisation
-Site internet d’ASL WEB : http://www.aslweb.fr/ressources/
-Fiches Focaale sur le site de France éducation internationale : https://www.france-education-international.fr/article/focaale-fiches-pedagogiques?langue=fr
-Au boulot 1 & 2, Alpha A voyelles et alpha B consonnes (2018), G. Mercadier et V.Vermurie, édition Français pour adultes https://francaispouradultes.fr/page_principal/livres.php
-Savoir lire au quotidien (2005), O. Benoît-Abdelkader, A. Thiebaut, Edition Hachette FLE
Applications pour l’alphabétisation
-J’apprends : http://j-apprends.fr/
-Solodou : https://solodou.com/
-Ardoiz magik (Geste graphique, Lire/écrire en cursive)
Plateforme de ressources
https://migrants-fle-quilt.fr/
https://www.coe.int/fr/web/language-policy/adult-refugees
Manuels et méthodes pour travailler l’oral avec un public migrants en France
-Bagages, : manuel de français langue étrangère et seconde, Valérie Skirka et Mahacen Varlik
Éditeurs : Coallia / Zellige – 2019
https://coallia.org/coallia-sengage/manuel-bagages/
-Ensemble, Niveau A1.1 – Cours de français pour migrants, Dorothée Escoufier, Philippe Marhic, Elodie Talbot
Éditeur: Clé International
-Focus, Paroles en situations A1-B2, Véronique Laurens, Elisabeth Guimbretière
Éditeur : Hachette FLE 2015
-Mallette « Comprendre et parler » de V. Juanis
Projet porté par Lire et Ecrire Bruxelles
https://www.comprendreetparler.be/
-Podcast Français facile : https://www.podcastfrancaisfacile.com/
-Le français facile avec RFI : https://francaisfacile.rfi.fr/fr/exercices/a1/
-Apprendre le français avec TV5 monde : https://langue-francaise.tv5monde.com/
-Enseigner le français à un public migrants avec TV5 Monde : https://enseigner.tv5monde.com/articles-dossiers/dossiers/enseigner-le-francais-un-public-migrant
A écouter
-Binge audio : la langue française, modèle d’intégration ?
https://www.binge.audio/podcast/parler-comme-jamais/la-langue-francaise-modele-dintegration
-J.Piron, A. Hoedt (2017). La convivialité, La faute de l’orthographe. Paris : édition Textuel
Conférence TedX: https://www.youtube.com/watch?v=5YO7Vg1ByA8